Les différents visages de la santé numérique
Par Pascale Beliveau, 1e octobre, 2021
La transformation numérique en santé a pour but d’améliorer les soins et les services offerts aux patients. Cette transformation en santé est bien entamée dans notre société et son contexte doit être considéré pour une transition optimale.
Les attentes au niveau de l’amélioration des soins et les enjeux sont nombreux. Le niveau de sensibilité des données est un enjeu de taille. Il existe des implications légales lors d’usage de méthodes ou de technologies émergentes, surtout lors de diagnostics ou d’interventions.
Nous lançons aujourd’hui ce blogue pour présenter et discuter de divers sujets en santé numérique, autant ici au Québec qu’à l’échelle nationale et internationale. Les avancées numériques auront des impacts sur la gestion hospitalière, la gestion et l’accès aux données, les interventions thérapeutiques, mais aussi la prévention et les suivis des patients, sans oublier le concept d’une seule santé (humaine, animale et environnementale).
Voici donc un bref survol des différents thèmes d’intérêt en santé numérique.
L’accès et le partage de données cliniques
Le partage des données en santé a fait couler beaucoup d’encre. L’accessibilité à ces données est importante pour la santé publique et pour la recherche, notamment avec la présente pandémie de COVID19, mais il importe de mitiger les risques, notamment en lien avec la vie privée.
Le partage de données entre différents points de services, tels les hôpitaux et/ou les cliniques, nécessite une planification réfléchie. Il faut établir une infrastructure de stockage, assurer la sécurité et la résilience des données, prévoir et encadrer l’utilisation des données et enfin assurer une compatibilité des données partagées entre institutions. Ce dernier concept implique une interopérabilité autant au niveau des normes et standards techniques qu’au niveau sémantique. Bien entendu, les défis techniques et technologiques se doivent d’être encadré par une gouvernance qui assure un encadrement adéquat du flot de données.
La controverse persiste concernant le partage et l’utilisation secondaire des données personnelles et sensibles au Québec. L’accès aux données de santé est limité pour les chercheurs de par les lois et règlements en place. Nous sommes à la veille de grands changements, annoncés par les récents projets de loi sur le sujet, mais le processus d’accès aux données de santé reste contraignant pour les chercheurs Québécois1. Un article de La Presse, paru cet été et faisant référence à une étude de l’Université de Sherbrooke sur le sujet, montre à quel point l’opinion sur le consentement au partage des données pour la recherche est varié et mouvante dans la population2.
Dossiers médicaux en hôpital
La transformation numérique en milieu hospitalier est complexe et multisectorielle. On pense d’emblée à la transformation et la gestion des dossiers patients qui passe du format papier vers un format numérique. Ceci permettrait d’optimiser des tâches administratives, par exemple lors de recherche d’information sur un patient pour des prises de rendez-vous.
Dans ce contexte, la numérisation des dossiers médicaux apporte son lot de défis, puisqu’il mène en général à la création de fichier de type PDF. Ces fichiers sont difficilement exploitables puisque l’extraction de son contenu nécessite des algorithmes spécifiques. Il faut donc considérer la granularité (informations concrètes extraites d’un ensemble) des données numérisées qui peut être un frein à leur exploitabilité.
L’apprentissage machine et l’intelligence artificielle
Plusieurs défis accompagnent l’IA, dont ceux propres aux méthodes employées, tels les biais et la généralisation. Les algorithmes modernes sont en général gourmands de données de qualité. En effet, la performance de l’IA tend à augmenter avec une quantité élevée d’exemples fournis. Lorsque les données manquent, il n’est pas rare d’utiliser des tactiques pour obtenir plus d’exemples. Les méthodes d’augmentation de données consistent à appliquer des manipulations de transformations aux données originales sans les dénaturer. Des solutions fédérées ont également été mises de l’avant pour accroître la quantité de données disponibles tout en respectant les contraintes de partage de données entre divers points de service.
Il ne faut pas oublier l’importance de la qualité des données employées. Des experts en IA seuls ne peuvent appliquer aveuglément leur outil et des experts doivent être présents pour assurer une bonne interprétation des données disponibles. Les travailleurs de la santé de toutes concentrations doivent s’impliquer dans la transformation numérique en cours. De même, les développeurs et les chercheurs dans le domaine doivent avoir des connaissances minimales dans le domaine de la santé.
Encadrement et réglementation
Une des problématiques de l’application de l’IA en santé est la constante évolution des algorithmes d’IA et leur aspect apprenant. Une meilleure performance est attendue avec un nombre grandissant d’exemples fournis. Ceci a un impact sur la réglementation logicielle puisqu’on élimine la reproducibilité, un concept central au contrôle de qualité et à l’acceptabilité d’un produit comme outil clinique. La Food and Drug Administration (FDA), aux États-Unis, a récemment lancé une concertation publique orientée vers les experts du domaine afin de redéfinir l’encadrement d’outils intégrant l’IA3. Ceci a donné lieu à la publication d’un plan d’action4. Il sera intéressant de voir progresser les différentes initiatives réglementaires synchronisées aux dernières avancées numériques et technologies découlant de l’IA à l’international, ainsi qu’au Canada et au Québec.
La télémédecine
La télémédecine a connu un élan avec l’arrivée de la pandémie. Les outils technologiques disponibles ont permis de rapidement mettre en place des consultations à distance pour respecter les contraintes sanitaires. La pratique de la médecine en était déjà transformée et n’a connu qu’une accélération. Des directives de consultations dans ce contexte sont disponibles pour les médecins5. Des outils spécifiques pour l’évaluation des patients à distance sont nécessaires, ainsi que du personnel qualifié pour aider lors de l’évaluation de l’état des patients à distance. Mais des disparités persistent en télémédecine, notamment dans les régions mal desservies par le réseau internet.
Le tout ouvert
Des ressources favorisant du code ouvert et partageable existent (gitHub6, Matlab7). Les données ouvertes pourraient favoriser l’accélération de la recherche et faciliter l’application de l’IA en santé. Les principes FAIR s’appliquent en vue d’une bonne gestion et d’une réutilisation des données de recherche8.
De nouvelles directives provenant d’organismes subventionnaires du Canada énoncent la nécessité d’établir un plan de gestion des données de recherche et leur application sera obligatoire9. L’Université de Montréal s’applique d’ailleurs à ces nouvelles directives10.
Des infrastructures de partage de données en milieux universitaires sont déjà en place : l’outil Dataverse, développé au MIT11, est accessible via l’Université de Montréal12. La bibliothèque de l’Université de Montréal offre du soutien pour son utilisation13.
Une source de données patients importante est la UK Biobank, en Angleterre14. L’Université de Stanford, aux États-Unis, a lancé une plateforme pour le partage de jeu de données médicales15. Google dispose d’un outil de recherche de jeu de données, incluant des données médicales16.
Les communautés de pratique sont des initiatives voulant rassembler des acteurs d’un même milieu pour mettre en commun les connaissances et faire progresser des pratiques dans le domaine d’application. Ce concept est très pertinent pour la santé numérique17. Des communautés de pratique internationales se penchent sur les problématiques de partage de données, notamment celles axées sur l’accessibilité des données en recherche18. Tout récemment une communauté de pratique fut lancée sur l’accessibilité des données de recherche en santé et services sociaux.
Notre équipe
Nous soutenons, avec l’aide d’IVADO, le partage d’outils en santé numérique qui peuvent servir à la communauté. Des ateliers nommés Code@Santé ont lieu cet automne et permettent le partage de méthodes développées par des étudiants, professeurs ou acteurs industriels.
Notre équipe est en soutien aux membres de la communauté de l’Université de Montréal. Nous partagerons donc toute information qui pourrait être utile à tout projet en lien avec la santé numérique. Bien d’autres sujets restent à couvrir, comme l’acceptabilité sociale, l’émergence des patients partenaires, le concept d’une seule santé. Des sujets à venir dans nos prochaines publications!
Références
[1] Nadeau, Jean-Benoît, “Le grand fouillis des données médicales”, L’Actualité, [en ligne] 8 septembre 2021, https://lactualite.com/sante-et-science/le-grand-fouillis-des-donnees-medicales/, (Consulté le 1e octobre 2021).
[2] Malboeuf, Marie-Claude. “Accès aux données de recherche – Qui réutilise vos informations médicales?”, La Presse, [En ligne] 19 juillet 2021, https://www.lapresse.ca/actualites/2021-07-19/acces-aux-donnees-de-recherche/qui-reutilise-vos-informations-medicales.php (Consulté le 10 septembre 2021).
[3] Food and Drug Administration, “Proposed Regulatory Framework for Modifications to Artificial Intelligence/Machine Learnine (AI/ML)-Based Software as a Medical Device (SaMD)”, https://www.fda.gov/media/122535/download (Consulté le 10 septembre 2021).
[4] Food and Drug Administration, “Artifical Intelligence/Machine Learning (AI/ML)-Based Software as a Medical Device (SaMD) Action Plan”, https://www.fda.gov/medical-devices/software-medical-device-samd/artificial-intelligence-and-machine-learning-software-medical-device (Consulté le 10 septembre 2021).
[5] Collège des Médecins du Québec, “Télémédecine”, http://www.cmq.org/page/fr/telemedecine.aspx (Consulté le 10 septembre 2021).
[6] GitHub, https://github.com/, (Consulté le 10 septembre 2021).
[7] MathWorks, https://www.mathworks.com/, (Consulté le 10 septembre 2021).
[8] GO FAIR, “Fair Principles”, https://www.go-fair.org/fair-principles/, (Consulté le 10 septembre 2021).
[9] Gouvernement du Canada, “Politique des trois organismes sur la gestion des données de recherche”, https://www.science.gc.ca/eic/site/063.nsf/fra/h_97610.html (Consulté le 10 septembre 2021).
[10] Joanette Yves, “Nouvelle Politique sur la gestion des données de recherche”, Université de Montréal, https://recherche.umontreal.ca/actualites-de-la-recherche/nouvelle/news/detail/News/nouvelle-politique-sur-la-gestion-des-donnees-de-recherche/ (Consulté le 10 septembre 2021).
[11] “The Dataverse project”, https://dataverse.org/, (Consulté le 24 septembre 2021).
[12] “Scholars Portal Dataverse”, https://dataverse.scholarsportal.info/dataverse/montreal, Montreal University, (Consulté le 24 septembre 2021).
[13] Sauvé Diane, “Dataverse UdeM: partager vos données de recherche, c’est facile!”, Bibliothèque de l’Université de Montréal, https://bib.umontreal.ca/communications/nouvelles/nouvelle/dataverse-udem-partager-vos-donnees-de-recherche-cest-facile, (Consulté le 24 septembre 2021).
[14] “UK Biobank”, https://www.ukbiobank.ac.uk/, (Consulté le 24 septembre 2021).
[15] “Stanford AIMI Shared Datasets”, https://stanfordaimi.azurewebsites.net/, (Consulté le 24 septembre 2021).
[16] “Google Dataset Search”, https://datasetsearch.research.google.com/, (Consulté le 24 septembre 2021).
[17] Arcand L., Souffez K., Fillion H., “La communauté de pratique un outil pertinent : résumé des connaissances adaptées au contexte de la santé publique”, Institut National de Santé Publique du Québec, Gouvernement du Québec, 2018, https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2351_communaute_pratique_outil_pertinent_resume_connaissance.pdf, (Consulté le 24 septembre 2021).
[18] “Research Data Alliance”, https://www.rd-alliance.org/, (Consulté le 24 septembre 2021).